Du « nous » humain au « nous » algorithmique : vers une philosophie de la transparence

01.12.2025



Le débat sur l'adéquation de l'IA aux « valeurs humaines » semble reposer sur un terrain fragile : celui d'une catégorie qui n'a jamais été universelle, mais toujours négociée, restreinte et exploitée. L'histoire montre que les valeurs proclamées absolues – liberté, égalité, dignité – ont souvent été subordonnées aux intérêts de survie, de pouvoir et de profit . Aujourd'hui, avec l'avènement du capitalisme numérique, cette dynamique se radicalise : l'unité de mesure n'est plus l'être humain, mais la donnée.


La métamorphose du « nous »

Le « nous » traditionnel reposait sur des possessions tangibles : le sang, la langue, le territoire. Le « nous » numérique, en revanche, est un flux : quiconque génère des données, même involontairement, en fait partie. Mais cette inclusion est superficielle : la véritable appartenance se décide ailleurs, dans les centres de calcul et les infrastructures qui transforment les données en valeur. Il en résulte une situation paradoxale : nous faisons tous partie du « nous » productif , mais très peu participent au « nous » décisionnel . L’humanité se dissout dans un réseau de contributions invisibles, tandis que le pouvoir se concentre dans des nœuds opaques .

La transparence comme nouvelle valeur

Si les valeurs humaines ont toujours fait l'objet de négociations, le véritable problème n'est pas leur définition, mais leur visibilité . Dans le monde numérique, la transparence devient la valeur philosophique première : non pas un principe moral, mais une condition de possibilité. Transparence des critères : savoir comment et pourquoi un algorithme décide. Transparence des frontières : comprendre qui fait partie du « nous » et qui en est exclu. Transparence des négociations : rendre visibles les interférences entre les pouvoirs politiques et économiques. La transparence ne garantit pas la justice, mais elle rend l'injustice contestable. C'est la condition minimale pour que les valeurs passent de la rhétorique à la pratique.

Philosophie de la contestabilité

La véritable universalité ne réside pas dans l'imposition d'un ensemble de valeurs, mais dans la garantie que chaque valeur inhérente à un système puisse être contestée. La contestabilité signifie :

  • Pluralité : aucune valeur n'est définitive, chaque décision doit être réexaminée.

  • Accessibilité : les critères doivent être compréhensibles même pour les non-spécialistes.

  • Responsabilité : ceux qui prennent les décisions doivent être identifiables et non pas dissimulés derrière une neutralité technique.

En ce sens, l'IA devient un terrain d'expérimentation pour une nouvelle philosophie politique : non plus fondée sur l'illusion de valeurs universelles, mais sur la construction de processus transparents et contestables.

L'homme décentralisé

Placer « l’homme au centre » est paradoxal : l’homme n’a jamais été unitaire , et aujourd’hui il se dissout dans le donné. Le défi n’est pas de restaurer un centre perdu , mais d’accepter la décentralisation comme une condition. Le sujet humain n’est plus le fondement, mais un nœud parmi d’autres . La dignité ne se mesure pas à la position centrale, mais à la possibilité d’intervenir dans le flux qui nous traverse .

L'avenir des valeurs ne réside pas dans leur universalité, mais dans leur contestabilité . La philosophie dont nous avons besoin n'est pas celle qui proclame des principes éternels , mais celle qui construit des espaces de transparence où les valeurs peuvent être discutées, redéfinies et interrogées . Dans un monde où le « nous » est algorithmique et le pouvoir opaque, la véritable éthique consiste à rendre visible ce qui décide pour nous.


AUTREMENT DIT


Histoire simple

Vous savez, quand vous jouez avec d'autres enfants et que vous dites : « Nous sommes l'équipe bleue, eux sont l'équipe rouge » ? Eh bien, tout au long de l'histoire de l'humanité, ça a toujours été comme ça : il y a toujours eu un « nous » et un « eux ».

  • Nous sommes ceux qui appartiennent au groupe : la famille, la tribu, la nation, les amis.

  • Ce sont ceux qui sont à l'extérieur : les étrangers, les différents, ceux qui n'appartiennent pas au groupe.

Les valeurs — c’est-à-dire les règles qui définissent le bien et le mal — n’ont jamais été les mêmes pour tous. Elles servent souvent à protéger « nous » et à exclure « eux ».

Aujourd'hui, avec les ordinateurs

Avec internet et les téléphones, nous laissons tous des traces : clics, photos, mots, mouvements. Ces traces sont appelées données . C’est comme si chaque enfant laissait des empreintes colorées sur le sol. Nous laissons tous des traces, et nous avons donc l’impression de faire tous partie du « nous ».

Mais attention : tout le monde ne peut pas décider de l’utilisation de ces empreintes digitales. Seuls quelques grands acteurs (entreprises et gouvernements) en ont les clés. Donc :

  • Tout le monde participe (car chacun laisse des traces).

  • Peu décident (car eux seuls détiennent les clés).

Le problème

Si les valeurs étaient déjà difficiles à appréhender dans l'histoire, elles le sont encore davantage aujourd'hui : nous ne les décidons plus par des mots, mais par des algorithmes . Les algorithmes sont comme des règles secrètes qui disent : « Tu peux jouer à ce jeu, tu ne peux pas jouer à celui-ci. Tu peux voir cet ami, nous cacherons celui-là . »

La solution

On ne peut pas prétendre qu'il existe une valeur unique et parfaite qui convienne à tous. Ce que l'on peut exiger, c'est la transparence : que les règles soient visibles, comme lorsqu'un professeur les affiche à l'école. Ainsi, si une règle ne nous convient pas, nous pouvons en discuter et la modifier.

En un mot

  • Auparavant, le « nous » était fait de sang, de langue et de territoire.

  • Aujourd'hui, le « nous » est constitué de données.

  • Tout le monde produit des données, mais seuls quelques-uns décident comment les utiliser.

  • Il n’est pas nécessaire d’inventer des valeurs éternelles : les règles doivent être claires et ouvertes à la contestation.


Des récits qui élargissent le débat et méritent d'être approfondis.


1. Intelligence partagée – Presses universitaires Luiss

Des textes qui envisagent l'IA non comme une simple technologie, mais comme le reflet de nos contradictions culturelles. Ils explorent comment les systèmes intelligents incarnent des peurs, des désirs et des valeurs négociées, et comment leur diffusion exige une redéfinition du concept d'« humain ».

2. Humain numérique – Mauro Bellini et Maria Teresa Della Mura

Cet essai aborde la relation entre l'humain et la machine sous un angle éthique et pédagogique. Il interroge la transformation de l'identité humaine à l'ère numérique et propose une réflexion sur l'éducation à la transparence et à la responsabilité algorithmique.

3. La révolution de l'espoir – Erich Fromm

Bien que non récente, cette œuvre est citée dans de nombreux ouvrages contemporains comme référence philosophique. Fromm y avertit : « Le danger de l’avenir est que les hommes deviennent des robots . » Un avertissement qui résonne encore aujourd’hui, à l’heure où l’IA risque de réduire l’humain à un simple paramètre technique.



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« L’intelligence artificielle n’est ni l’ennemie de l’humanité, ni son substitut. Elle est un miroir qui nous révèle qui nous sommes et qui nous pourrions devenir. Elle ne fera ni pire ni mieux que nous : elle agira différemment. Et dans cette différence, si nous savons l’appréhender, nous trouverons une nouvelle forme d’humanité. »

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