
Tout ne devient pas télévisuel : pourquoi le paradigme médiatique est plus complexe
L'idée que « tout ce qui n'est pas télévision devient télévision » est percutante car elle saisit un phénomène bien réel : la place centrale de la vidéo et le flux continu sur les plateformes numériques. Instagram, TikTok, YouTube et Facebook ont progressivement substitué à la logique du lien social celle du divertissement algorithmique.
Le flux d'actualités est devenu une programmation, les réseaux sociaux se sont transformés en streaming personnalisé. Cette analogie est certes stimulante, mais elle risque d'être réductrice. Car s'il est vrai que les médias numériques tendent vers le format télévisuel, il est tout aussi vrai que cela ne s'arrête pas là . Raymond Williams flux » télévisuel comme d'un flux sans commencement ni fin .
Or, le flux numérique, tout en partageant cette logique, introduit un élément nouveau : la possibilité d'interrompre, de rechercher et de détourner l'attention .
Différences structurelles : la télévision est diffusée, les médias sociaux sont interactifs
La télévision traditionnelle est un de diffusion : un centre de diffusion, des millions de téléspectateurs passifs. Les médias sociaux, même sous leur forme la plus « télévisuelle », conservent des caractéristiques qui les distinguent radicalement :
Interactivité : mentions « J’aime », commentaires, partages, remix. Même en regardant les vidéos d’inconnus, nous pouvons réagir, interagir et créer.
Personnalisation : L'algorithme ne suit pas un schéma unique, mais propose un flux différent pour chaque utilisateur.
Production à grande échelle : Il n’existe pas de centre de diffusion. Tout utilisateur peut devenir producteur, même si la visibilité est inégale.
Ces différences rapprochent l'expérience numérique d'un écosystème participatif plutôt que d'une simple émission de télévision. Sur YouTube , je peux passer d'une vidéo de divertissement à un cours universitaire . Sur TikTok, je peux découvrir une tendance musicale et la transformer en contenu créatif . Sur Instagram , je peux alterner entre divertissement et relations personnelles. Le fil d'actualité n'est donc pas qu'une simple source d'information passive : il est aussi archive, recherche, découverte . La télévision fait tout cela, mais n'offre pas cette possibilité .

La dimension communautaire résiste
Il est vrai que seulement 7 % du temps passé sur Instagram est consacré à des amis. Mais cela ne signifie pas que la dimension sociale a disparu. Les communautés numériques se sont déplacées ailleurs : vers les groupes privés , les discussions instantanées , les serveurs Discord , les chaînes Telegram . La télévision, elle, n’avait pas de communauté. Les médias sociaux, même sous leur forme télévisée, continuent de créer des espaces d’appartenance et de dialogue . Ce changement ne marque pas la fin de la sociabilité, mais son déplacement .
L'IA n'est pas la télévision, c'est une génération
Les plateformes d'intelligence artificielle qui produisent des vidéos en continu (Sora, Vibes) semblent incarner la logique de la télévision. Mais en réalité, elles opèrent à un tout autre niveau : elles ne diffusent pas, elles génèrent du contenu . La télévision rediffuse du contenu déjà produit. L'IA crée du contenu inédit, même s'il est souvent dénué de sens ou sans intérêt. Cette différence devient – et est, en fait – cruciale : l'IA n'est pas la télévision, elle se transforme en machine narrative . Le risque n'est pas seulement la passivité, mais aussi la saturation de sens : un excès de contenu qui n'a plus de référent humain.
Pourquoi l'analogie avec la télévision est insuffisante
Affirmer que tout devient télévision, c'est minimiser la complexité des médias contemporains. En réalité, nous assistons à une hybridation :
Télévision : rythme, spectacle, émotion.
Socialité : interaction, communauté, appartenance.
Stockage : recherche, mémoire, accès.
Génération IA : Production automatique, saturation.
Les médias numériques ne convergent pas vers un seul type d'attraction, mais vers une pluralité de formes qui coexistent et s'entremêlent. Pour les professionnels de la communication, du marketing et de l'édition, la leçon est claire : il ne suffit plus de penser en termes télévisuels. Il faut reconnaître la pluralité des langages et la diversité des pratiques . Le défi n'est plus seulement de capter l'attention, mais de créer du sens au sein d'un écosystème fragmenté.
Le risque n'est pas que tout devienne télévision, mais que tout devienne bruit . Le véritable talent consistera à distinguer le bruit du sens, le flux de la construction, le divertissement de la communauté. Ainsi, le monde numérique n'est pas simplement la télévision. Il est plus complexe, plus contradictoire, plus riche. La télévision est un facteur d'attraction, mais pas le seul. Dans un écosystème où flux, communautés, archives et générations artificielles coexistent , le véritable défi est d'appréhender la complexité . Les gagnants ne seront pas ceux qui produisent le plus de vidéos, mais ceux qui savent créer de la valeur au-delà du flux : des espaces de sens, de relations, de réflexion .
Le rapport Censis 2024 sur la communication souligne que la télévision demeure le média préféré des Italiens, avec un taux de pénétration de 94,1 % , tandis que les réseaux sociaux atteignent 85,3 % . Il ne s'agit pas d'une substitution, mais d' une coexistence : la télévision conserve son pouvoir fédérateur, tandis que les réseaux sociaux fragmentent l'expérience. Cette coexistence démontre que le modèle télévisuel n'a pas tout absorbé : il s'est au contraire hybridé avec de nouvelles logiques d'interaction et de personnalisation.
Le concept de flux et son évolution
Comme nous l'avons déjà rappelé, Raymond Williams définissait le « flux » télévisuel comme un flux sans début ni fin, caractéristique de la diffusion . Aujourd'hui, les flux numériques reprennent cette logique, mais y introduisent de nouveaux éléments : la possibilité d'interrompre, de rechercher et de changer de sujet . Des études ultérieures ont montré comment le concept de flux s'est transformé en « streaming interactif », où l'utilisateur n'est plus un spectateur passif, mais un participant actif.
temps libre et capital social
ouvrage Bowling Alone (2000) , Robert Putnam documente le déclin de la participation civique aux États-Unis, l'associant notamment au temps libre passé devant la télévision. Entre 1965 et 1995, les Américains ont gagné six heures de temps libre par semaine , mais ils les ont consacrées à la télévision .
Aujourd'hui, l'histoire semble se répéter, à une différence près : le temps passé sur les réseaux sociaux n'est plus seulement une consommation passive , mais aussi une véritable interaction communautaire . Les communautés numériques se sont déplacées vers les groupes privés, les messageries instantanées, les serveurs Discord et les chaînes Telegram . La télévision, elle, n'avait pas de communauté ; les réseaux sociaux, même sous leur forme télévisée, continuent de créer des espaces d'appartenance.
Algorithmes et santé mentale
Des études universitaires récentes (Padoue, 2024 ; Locatelli, 2023) ont analysé le « tournant algorithmique » : les algorithmes ne se contentent plus de diffuser du contenu, mais façonnent les pratiques sociales et culturelles. La personnalisation algorithmique contribue à la formation de bulles de filtres et à l’anxiété chez la génération Z et les Millennials . Des études cognitives soulignent la vulnérabilité neurocognitive des adolescents exposés à un flux incessant d’informations. Ces données montrent que le problème ne réside pas dans la télévision elle-même, mais dans la logique algorithmique qui influence les comportements et les perceptions.
En ce sens, les médias sociaux visuels ne peuvent être réduits à une simple analogie avec la télévision. Ils représentent plutôt un écosystème ontogénétique où les dispositifs, les images, les pratiques et les algorithmes s'influencent mutuellement, créant un environnement qui n'est pas seulement un environnement de consommation, mais aussi de production, d'interaction et de transformation culturelle.
La perspective STS nous rappelle que la technologie n'est jamais neutre : elle permet et contraint, offre et refuse des possibilités, construit des affordances que les utilisateurs réinterprètent et modifient par des pratiques collectives et individuelles . Dans ce processus, les logiques algorithmiques ne constituent pas une fatalité, mais un champ d'adaptation continue où les utilisateurs expérimentent, résistent, imitent et innovent . En ce sens, STS perspective qui vise à questionner les outils mis à disposition pour la recherche et leur fonctionnement, afin de comprendre les processus par lesquels il est possible d'accéder à un savoir reconnu comme scientifique, en incluant également tous les facteurs (par exemple, sociaux) souvent considérés comme extérieurs à la science, mais qui contribuent pourtant tout autant à la transition de la science en action à la science prête à être utilisée.
La pertinence des médias sociaux visuels réside dans leur capacité à façonner l'imaginaire contemporain : les images ne sont plus de simples représentations , mais des actes performatifs qui relient le sujet à une action et nous permettent de saisir le parcours anthropologique entre besoins individuels et collectifs . En ce sens, les plateformes deviennent des laboratoires de sens , des lieux où les frontières entre sphère privée et sphère publique, entre esthétique et politique, entre divertissement et savoir sont constamment redéfinies .
Cette fermeture ne peut être qu'un défi : si tout semble converger vers le flux télévisuel, le véritable enjeu est de reconnaître que tout ne devient pas télévision .
Les médias sociaux visuels nous obligent à penser la complexité, à considérer les images comme des outils essentiels d'analyse sociale et à comprendre que leur pouvoir ne réside pas seulement dans leur capacité à occuper le temps, mais aussi dans leur aptitude à redéfinir les formes mêmes de notre imaginaire collectif .
Le monde numérique ne se résume pas à la télévision. Il est plus complexe, plus contradictoire, plus nuancé. La télévision est un facteur d'attraction, mais pas le seul.
Dans un écosystème où flux, communautés, archives et générations artificielles coexistent, le véritable défi pour les professionnels des médias est d'appréhender la complexité . Les gagnants ne seront pas ceux qui produisent le plus de vidéos, mais ceux qui sauront créer de la valeur au-delà du flux : des espaces de sens, de relations, de réflexion, et des contenus interactifs novateurs et avancés.
Sources fiables pour approfondir le sujet :
Rapport Censis sur la communication 2024
Raymond Williams, La télévision : technologie et forme culturelle
Robert Putnam, Bowling Alone (2000)
Locatelli, Le tournant algorithmique (2023) ; Université de Padoue, études sur la génération Z et les flux algorithmiques
Études sur l'IA générative et les médias (2024-2025)

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